Innocent, 15 ans : Récit d'un ancien enfant-soldat

Pour les garçons âgés de 12 à 16 ans du centre de transit et d'orientation (CTO) de Goma, géré par l'association CAJED (Concert d'Actions pour Jeunes et Enfants Défavorisés) avec l'appui de l'UNICEF, la journée démarre à 7h00 par le petit-déjeuner. Les jeunes sont ensuite répartis dans différents groupes pour suivre, selon leurs choix, des cours d'alphabétisation, de remise à niveau scolaire, ou d'initiation au dessin, à la couture, au chant, à la musique ou à la danse. Dans l'après-midi, après le repas et une sortie en ville accompagnée, ils pourront se détendre : aujourd'hui, Dieudonné est venu les initier à la capoeira !

Les 37 jeunes qui vivent ici ont tous la particularité d'être d'anciens enfants-soldats tout récemment démobilisés. Les centres de transit et d'orientation ont été créé pour faire face à l'afflux massif d'enfants sortis des groupes armés : dans l'est de la République démocratique du Congo, depuis 2004, chaque année, entre 3000 et 4000 enfants sont sortis des groupes armés. Ici, au pic de son activité, en 2013, le centre a accueilli 188 enfants lors d'une vague de démobilisation de milices suite au départ du M23. Dès que possible, L'UNICEF tente de placer tous les enfants-soldats démobilisés dans des familles d’accueil, avant de les réunir avec leur famille d'origine. Quand le nombre d'enfants dépasse les capacités d'accueil, priorité est donnée aux filles, et les garçons transitent par un CTO, en général moins de 3 mois.

Innocent est arrivé au centre il y a 18 jours. À l'âge de 13 ans (il en a aujourd'hui 15), il a volontairement rejoint les maï-maï Pareco, une milice d'auto-défense agissant dans le massif du Masisi, au Nord-Kivu, car « tous ses amis du quartier s'était déjà enrôlés ». Innocent était en 2ème secondaire, allait tous les jours à l'école et aimait ça. Mais il s'est fait influencer par ses amis qui lui ont dit qu'il mangerait tous les jours de la viande, et qu'on lui donnerait des vêtements et des bottines. « Chez moi, il pouvait se passer plus de 2 semaines sans que je mange un morceau de viande. Chez PARECO, j'étais employé à faire la cuisine, alors j'ai pu manger de la viande jusqu'à 3 fois par semaine. Je n'ai reçu ni vêtements ni bottine, mais quand nous partions piller des villages, nous pouvions en récupérer. Pour le reste, en revanche, la vie était mauvaise. Dès que je faisais une erreur, on me tabassait. On me frappait pour un rien, par exemple si on me trouvait au puit, on prétextait que je trainais trop et on me fouettait. Il ne se passait pas une semaine sans que je sois frappé ». Après 4 mois de ce régime, malgré les menaces répétées de venir le chercher chez lui s’il partait, Innocent a pris la fuite avec 2 amis.

Le répit fut de courte durée, juste le temps d'apprendre que son père était décédé. Deux jours après être rentré chez lui, une autre milice maï-maï est venue piller son village, et Innocent s'est fait capturer avec un autre enfant. Les miliciens leur ont demandé d'escorter les chèvres qu'ils avaient pillées jusqu'à leur camp, et ne les ont plus laissés partir. Innocent est resté plus d'un an et demi avec eux. Il a été nommé « chief escort » : quand le commandant se déplaçait, il devait le précéder et ouvrir la voix. Il reçut un fusil et ne quittait jamais le commandant, allant jusqu'à dormir à ses côtés. Un an après sa capture, Innocent participa à son premier combat, contre une milice rivale, les Nyatura. « J'ai vu des gens mourir. J'avais peur », se remémore Innocent. « J'ai dû abattre un fuyard car le commandant me l'a ordonné ».
Six mois plus tard, les Nyatura, aidés par un groupe FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda), ont répliqué. Alors que tout le monde prenait la fuite, Innocent en a profité pour s'échapper, marchant 2 jours, seul, pour atteindre le camp de la MONUSCO de Kitchanga. Même si il avait abandonné son fusil dans sa fuite, il réussit à prouver qu'il était un enfants-soldat en brandissant sa gourde militaire.

Innocent n'a plus aucune nouvelle de sa famille ; il sait juste qu'ils se sont déplacés pour fuir les combats, et que l'un de ses frères a lui-aussi rejoint un groupe armé. Le retour à la vie civile est souvent compliqué pour des jeunes déracinés, qui ont eu l'habitude de se nourrir ou d'obtenir quoi que se soit à l'aide d'un fusil. Dans les villages d'où ils viennent, s’ils peuvent y retourner, ils seront confrontés à la pauvreté et devront travailler dans les champs. C'est une activité pénible qui rapporte peu. Une minorité rejoindra de nouveau un groupe armé, par facilité. Mais d'autres parviendront à faire des études et à concrétiser leurs rêves.

Innocent, lui, rêve de devenir médecin.