Docteur Denis Mukwege - Fondation Panzi - Interview

 

Cette interview nous a été accordée par le Dr Mukwege partenaire du programme Dignité pour les Femmes de l’AMADE.

AMADE : Bonjour Docteur, merci de nous accorder cette interview, Pouvez-vous nous rappeler les causes du problème récurrent de la malnutrition et nous dire en quoi le financement de l’AMADE, en 2019-2020, dans le cadre de son intervention au titre de  l’Aide d’Urgence, a-t-il contribué à soulager les enfants ?

Dr Mukwege : Dans un pays potentiellement très riche en ressources naturelles, où la saison des pluies dure neuf mois par an, avec des terres volcaniques très fertiles, des possibilités de développer l’élevage de la volaille, du bétail, c’est dommage qu’il y ait encore tant de cas de malnutrition. Malheureusement, c’est la réalité. La périphérie de Kavumu, relativement sécurisée, attirent les familles déplacées qui fuient l’insécurité de leurs villages d’origine en raison de l’activisme des groupes armés (moyens et hauts plateaux de Kalehe, Ramba, Kachiri, Ziralo, Katasomwa, Lemera, Bushaku, etc.), qui viennent s’ajouter aux familles d’accueil, elles-mêmes déjà dans un état de grande vulnérabilité.

Dans ce contexte, l’appui financier de l’AMADE nous a permis d’assister 110 enfants souffrant de malnutrition, au sein du centre nutritionnel de Cirheja à Kavumu,  Pendant un an, ce financement nous a aidé à fournir la nourriture nécessaire et à couvrir les frais et les fournitures scolaires de ces enfants. Le budget de l’AMADE nous a permis par ailleurs de regrouper leur parents dans des mutuelles de solidarité avec un appui financier individuel variant entre 40 USD et 100 USD (en fonction de la capacité de chacune et de la filière d’activité choisie) pour financer leurs activités génératrices de revenus (AGR) – que le contexte lié à la pandémie de Covid-19 n’a pas permis de concrétiser.

 

AMADE : A travers vers vous, l’hôpital de Panzi lutte pour le bien-être des enfants et la protection des jeunes filles victimes de violence sexuelle – Dans quelle situation se trouvent actuellement les jeunes filles dans les villes et les villages ?

Dr Mukwege : Nous avions reçu et soigné ces jeunes filles à l’hôpital de Panzi. Mais il convient de mentionner que depuis l’arrestation et la condamnation du député provincial du Sud-Kivu, qui était l’auteur de viols sur les nourrissons et les fillettes à Kavumu, nous ne recevons plus les petites filles violées à Kavumu au même rythme qu’avant (ce député avait été condamné au premier degré en décembre 2017 et au deuxième degré en juillet 2018).  Mais nous continuons de prendre en charge des fillettes venant d’autres villages du Sud-Kivu.

Parmi les survivantes des violences sexuelles que nous recevons à l’hôpital de Panzi, environ 22 % sont des jeunes filles mineures dont l’âge varie entre 0 et 17 ans.

À la maternité de l’hôpital de Panzi, les jeunes mineures âgées de moins de 17 ans sont de plus en plus nombreuses à accoucher. C’est un défi tant au niveau de la prise en charge adéquate et de la santé maternelle, qu’en ce qui concerne l’avenir des enfants nés de ces viols. Un autre défi demeure : nous avons réparé l’appareil génital de ces fillettes violées à Kavumu entre 2013 et 2015, mais nous n’avons pas encore réalisé d’étude relative à leur vie sexuelle et reproductive une fois devenues adultes.

En 2020, dans le but de renforcer leurs conditions de vie et leur protection, nous avons construit 42 maisons destinées aux survivantes des violences sexuelles sur l’axe Kavumu-Katana-Kalehe, grâce à l’appui financier de la Croix-Rouge de Luxembourg.

En 2021, grâce à ce même programme, 65 maisons sont en cours de construction sur cet axe auquel on a ajouté désormais les survivantes de Minova et Bunyakiri. En 2022, 150 maisons additionnelles seront édifiées.

Le programme de la Fondation Panzi apporte également son aide aux jeunes filles mineures sorties de la prostitution dans les bidonvilles périphériques de la ville. Nous les encadrons dans des maisons d’accueil, avec un modèle holistique, en mettant à leur disposition des mères encadreuses ; elles vont à l’école, reçoivent de la nourriture, des kits d’hygiène et les soins médicaux nécessaires. Celles qui le souhaitent peuvent même suivre des formations professionnelles.

Par ailleurs, nous appuyons les AGR qui sont exercées par les parents de l’ensemble de ces jeunes filles.

AMADE : Pouvez-vous nous faire un état des lieux de vos actions dans le cadre du programme de l’AMADE, « Dignité pour les Femmes » ?

Dr Mukwege : C’est principalement dans le domaine de la protection de l’enfance que nous nous inscrivons dans le programme « Dignité pour les Femmes » : dans notre soutien aux jeunes survivantes des violences sexuelles et aux enfants souffrant de malnutrition, ainsi qu’à leurs parents.  

AMADE : Quelles sont les caractéristiques de votre lutte pour le bien-être des jeunes filles que vous soignez et protégez ?

Dr Mukwege : Notre action s’articule au sein de notre modèle holistique « one stop center » autour de quatre piliers : médical, psychosocial, réinsertion socio-économique, et accompagnement juridique et judiciaire.

L’appui aux enfants constitue notre grande priorité, qu’ils soient sortis des carrés miniers ou victimes des violences sexuelles, enfants associés aux groupes armés, jeunes filles sorties de la prostitution, enfants non accompagnés en général ou qui cherchent à sortir de la précarité de la rue…

AMADE : Quelle est votre vision actuelle de la situation sanitaire et sociale ? Avez-vous un message d’espoir à nous transmettre pour les mois à venir ? 

Dr Mukwege : Nous déplorons que le nombre de victimes des violences sexuelles continue à augmenter.  Seule la construction d’une paix durable en RDC permettra de mettre en place des solutions durables. Et nous n’aurons pas cette paix sans la justice.

C’est pourquoi tout notre plaidoyer est actuellement focalisé sur l’instauration des mécanismes de justice transitionnelle et la mise en application des recommandations du rapport Mapping produit par le Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’homme depuis 2010. Il nous faut une stratégie holistique de justice transitionnelle en RDC, qui permettra la mise en place d’un tribunal pénal international pour la RDC ou de chambres mixtes spécialisées.

Mon message d’espoir, c’est le courage qui caractérise souvent les femmes victimes de violences sexuelles, et leur détermination à transformer leurs souffrances en force.

 

                                                                    © Fondation Panzi / AMADE - 2021